MESDAMES, MESSIEURS,
L’accueil des enfants handicapés à l’école est un enjeu de société majeur, dont l’importance s’est encore accrue récemment : le nombre d’élèves handicapés scolarisés dans les établissements scolaires a plus que triplé, passant d’environ 118 000 en 2006 à 384 000 élèves en 2020. En septembre 2021, plus de 400 000 enfants handicapés sont scolarisés, ce qui correspond à une augmentation de 19 % en cinq ans. Or l’article L114-1-1 du code de l’action sociale et des familles rappelle que « la personne handicapée a droit à la compensation des conséquences de son handicap », cette compensation prévue par la loi « consiste à répondre à ses besoins, qu’il s’agisse (…) de la scolarité, de l’enseignement, de l’éducation ».
La scolarisation des enfants handicapés en milieu ordinaire est ainsi encouragée par le législateur qui rappelle à l’article L. 112-1 du code de l’éducation que pour satisfaire aux obligations liées aux droits à l’éducation et à une formation scolaire, « l’État met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes en situation de handicap ». À ce titre, lorsque leurs besoins le justifient, les élèves handicapés bénéficient des aides et des accompagnements nécessaires à leur scolarisation.
Cette aide peut être apportée par un accompagnant d’élèves en situation de handicap (AESH). S’ils interviennent d’abord sur le temps scolaire dont l’État est responsable au titre de sa mission d’organisation du service public de l’enseignement, les AESH peuvent être mis à la disposition des collectivités territoriales en application de l’article L.916-2 du code de l’éducation.
Sur la question spécifique de la restauration scolaire, la circulaire n° 2013-060 du 10 avril 2013 d’orientation et de préparation de la rentrée 2013 du ministère de l’éducation nationale a rappelé que « l’accès à la restauration scolaire, quand celle-ci existe, est un droit ». La garantie d’un égal accès à la cantine scolaire est également expressément affirmée par la loi : l’article L. 131-13 du code de l’éducation prévoit en effet que l’inscription à la cantine des écoles primaires, lorsque ce service existe, est un droit pour tous les enfants scolarisés, sans qu’il puisse être établi aucune discrimination selon leur situation ou celle de leur famille.
L’accès aux activités périscolaires, dont le temps de restauration scolaire, pose pourtant question de manière répétée pour les enfants – handicapés du fait de la complexité de la prise en charge financière des AESH, alors même que les enfants handicapés restent très souvent à la cantine. L’effectivité de l’obligation scolaire de ces élèves est battue en brèche par les fortes disparités de financement entre les territoires : certaines commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées se prononcent sur les besoins d’accompagnement sur la pause méridienne, alors que d’autres limitent strictement leur intervention au temps scolaire. L’égalité de traitement entre les enfants handicapés n’est donc pas garantie.
Par principe, l’État organise le service public de l’enseignement, qui régit les activités d’enseignement et de formation pendant le temps scolaire ; tandis que les collectivités territoriales sont responsables du temps de restauration scolaire. Cette répartition des compétences entre l’État et les collectivités territoriales ne permet pas de régler la question du financement de l’accompagnement des élèves handicapés sur la pause méridienne, qui s’avère être une question juridique complexe. Nécessaire à l’effectivité de l’obligation scolaire des enfants handicapés, l’activité des accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH), dont le statut a été rénové par la loi du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, est conditionnée par la prise en charge financière de leur rémunération.
Cette question se heurte à la position du ministère de l’éducation nationale, selon laquelle le temps de restauration scolaire ne contribue pas directement à la scolarisation de l’enfant et que l’intention du législateur est de limiter l’intervention de l’État au temps scolaire. Ce refus apparaît à contre-courant des obligations d’accueil des élèves handicapés. En effet, le cloisonnement ainsi opéré entre les temps scolaire et périscolaire aboutit à ce que les organisateurs du temps périscolaire – la collectivité ou l’établissement scolaire dans le cas de l’enseignement privé – ou les familles supportent le financement de l’AESH. À cela s’ajoutent de nombreux exemples de mauvaise volonté de la part d’inspections académiques refusant de fournir un AESH sur les temps périscolaires, malgré une notification de la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH) en ce sens.
L’organisation et le financement de l’accompagnement sur les temps périscolaires est d’autant plus difficile qu’elle a fait l’objet de jurisprudences divergentes entre les juridictions administratives. Par une décision du 20 avril 2011 (355434), le Conseil d’État avait considéré qu’ » il incombe à l’État au titre de sa mission d’organisation générale du service public de l’éducation, de prendre l’ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l’éducation et l’obligation scolaire aient, pour les enfants handicapés, un caractère effectif », ce qui impliquait que la prise en charge du financement des emplois des assistants d’éducation recrutés par l’État ne se limitait pas aux interventions sur le temps scolaire.
Une telle solution semblait affirmée, puisque le gouvernement admettait dans une réponse écrite du 16 avril 2019 que « Les personnels chargés de l’aide humaine individualisée ou mutualisée pendant les temps scolaires peuvent accompagner les élèves en situation de handicap pendant la pause méridienne, dès lors que cet accompagnement a été notifié par une décision de la CDAPH ». De même, le ministre de l’éducation considérait que « les activités périscolaires ont ainsi vocation à être accessibles à tous les élèves sans exception ». Il était donc admis que la mission des AESH s’étendait à l’accompagnement pendant les temps d’activités périscolaires des enfants bénéficiaires d’une notification de la CDAPH, et que sa prise en charge financière incombait à l’État dans la mesure où la participation à ces activités est nécessaire pour assurer l’effectivité de l’obligation scolaire de ces enfants.
De même, une décision de la Cour administrative de Bordeaux du 5 novembre 2019 (17BX03810) distinguait déjà entre l’accès aux activités périscolaires et « l’organisation matérielle du service de restauration » et affirmait que le code de l’éducation n’impose pas que « la collectivité bénéficiaire d’une mise à disposition en assure, dans tous les cas, le financement ». Ainsi, il incombe à l’État « d’assurer la continuité du financement des personnels accompagnant les élèves en situation de handicap pendant ces activités périscolaires, et ce, alors même que l’organisation et le financement de ces activités elles-mêmes ne relèveraient pas de sa propre compétence ».
Cependant, dans une décision Département d’Indre-et-Loire du 24 juin 2019, le Conseil d’État a jugé que la restauration scolaire est facultative. L’État est tenu de s’entendre avec les collectivités pour organiser ce temps, mais c’est à ces dernières d’assumer la charge financière de ces temps périscolaires. Ainsi, le financement de l’accompagnement des enfants en situation de handicap pendant la pause méridienne incombe à l’organisme responsable de celle-ci, qu’il soit public ou privé. Dans le cas des établissements privés, la charge du financement de l’AESH est forcément supportée par les familles requérant ce service, étant donné que ni le forfait d’externat, ni la contribution des familles ne peut être utilisé.
Cette position est renforcée par un arrêt de section du Conseil d’État du 20 novembre 2020 (422248) qui estime que « lorsqu’une collectivité territoriale organise un service de restauration scolaire ou des activités complémentaires aux activités d’enseignement et de formation pendant les heures d’ouverture des établissements scolaires, ou encore des activités périscolaires (…), il lui incombe (…) de veiller à assurer que, (…) les élèves en situation de handicap, puissent, avec, le cas échéant, le concours des aides techniques et des aides humaines dont ces élèves bénéficient au titre de leur droit à compensation (…) y avoir effectivement accès ». Le Conseil d’État propose trois modalités de prise en charge financière des AESH : soit la mise à disposition sur le fondement d’une convention entre la collectivité et l’employeur dans les conditions prévues par l’article L216-1 du code de l’éducation, « lequel précise qu’il revient à la collectivité territoriale d’assurer la charge financière de cette mise à disposition » ; soit l’emploi direct par une collectivité territoriale dans le cadre d’un cumul d’activités ; soit le recrutement conjoint par l’État et par la collectivité territoriale.
Ainsi, bien que l’État ait la responsabilité de garantir la continuité de la prise en charge de l’enfant handicapé durant les activités périscolaires et le temps de restauration scolaire, cette obligation ne remet pas en cause le principe dégagé par cette décision de principe : la prise en charge financière par les collectivités territoriales de l’accompagnement des enfants handicapés sur les temps périscolaires, dont la pause méridienne, relève des collectivités territoriales. Le juge ne consacre cependant pas une obligation de résultat à la charge des collectivités, les textes ne permettant pas de leur imposer une telle contrainte.
Face à cette décision mettant en péril l’effectivité du droit à l’éducation et de l’obligation scolaire des enfants handicapés, l’action du législateur apparaît nécessaire pour clarifier le partage des compétences entre l’État et les collectivités et mettre en place des solutions concrètes et opérationnelles à même de favoriser la scolarisation en milieu ordinaire de ces enfants. La clarification jurisprudentielle apportée par la décision du 20 novembre 2020 met en effet fin aux consignes reçues jusqu’alors dans les rectorats d’accepter de financer l’accompagnement des AESH face aux refus des collectivités territoriales. Cette situation est d’autant plus alarmante que le nombre d’AESH est encore trop faible : en 2020, seuls 180 000 élèves handicapés sont accompagnés, pour environ 380 000 élèves scolarisés.
Ce revirement de jurisprudence du Conseil d’État opère de fait un transfert sans compensation financière de l’État vers les collectivités territoriales des charges relatives à l’emploi des AESH sur les temps d’activités périscolaires. Les conséquences peuvent être lourdes pour les collectivités, car l’emploi des AESH représente un coût substantiel auquel elles ne peuvent pas faire face. Par ce « transfert rampant », l’accueil des enfants handicapés est en pratique compromis, alors même que le gouvernement promeut l’inclusion comme un enjeu majeur de l’école républicaine.
Le financement de l’intervention des AESH sur les temps périscolaires de la part de l’État apparaît alors nécessaire, opérant ainsi un décloisonnement de leur temps de travail, afin d’améliorer l’articulation entre les différentes structures qui prennent en charge l’enfant handicapé, en milieu scolaire, périscolaire et extrascolaire et de mettre fin à la pénurie des moyens humains et financiers. Une telle approche transversale est la seule à même de permettre une école réellement inclusive.
Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs considéré dans une décision du 24 avril 2003 (n° 2003-471 DC) relative à la loi sur les assistants d’éducation, la portée de l’article L916-2 du code de l’éducation, que « Les assistants d’éducation peuvent être mis à la disposition des collectivités territoriales pour participer aux activités complémentaires (…) ou aux activités organisées en dehors du temps scolaire dans les écoles et les établissements d’enseignement ». Il soulignait que cet article n’a « ni pour objet ni pour effet de permettre aux collectivités territoriales de financer des emplois d’assistants d’éducation pour exercer les missions incombant à l’État prévues à l’article L916-1 ».
Il convient donc de soutenir que le temps et les activités périscolaires étant une compétence partagée de l’État et des collectivités territoriales, l’État peut être contraint à les financer. Il apparaît nécessaire de distinguer l’organisation matérielle des activités périscolaires de l’accès des enfants handicapés à ces activités : si le coût de la mise en place du service des activités périscolaires incombe aux communes, le recrutement et la rémunération des AESH, qui mettent en œuvre ces activités, doit relever de la responsabilité de l’État.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 112-1 du code de l’éducation, est complétée par les mots : « y compris durant les activités visées à l’article L. 216-1 ».
Article 2
L’article L. 216-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° À la dernière phrase du premier alinéa, les mots : « leur incombe » sont remplacés par les mots : « incombe à ce dernier » ;
2° Au dernier alinéa, la première occurrence du mot : « de » est remplacée par les mots : « rémunérés par ».
Article 3
L’article L. 551-1 du code de l’éducation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dès lors que l’accès aux activités périscolaires est une composante nécessaire à la scolarisation des élèves et qu’elles sont préconisées par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées, l’État assure la continuité du financement des accompagnants des élèves en situation de handicap pendant ces activités. »
Article 4
Après le premier alinéa de l’article L. 916-2 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans le cadre de cette mise à disposition, l’État assure la continuité du financement des accompagnants des élèves en situation de handicap pendant les activités mentionnées à l’alinéa précédent. »
Article 5
La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A d |